vendredi 18 juin 2010

Histoire des arts sur le trajet : « Mozart und Teutschland »

Le dernier cours « histoire de l’art » de la 4ème SE eut également lieu dans le bus puisque les élèves allaient passer de Bavière en terres salzbourgeoises sans probablement sans rendre compte. Le thème fut le primat de l’italien en opéra, Mozart et la langue allemande. Les traces écrites et le rebrassage a été fait pendant le premier cours qui suivit le voyage.

Le sujet aboutit obligatoirement à la définition du mot « deutsch » et à l’identité de Mozart. Le côté paternel est bavarois (Augsbourg). La mère est du pays de Salzbourg, une terre dont la langue est également bavaroise. Mais, de son vivant, l’archevêché de Salzbourg est indépendant, il n’appartient pas à l’Autriche. En fait, Mozart sera mort depuis longtemps quand Salzbourg passera en Autriche. (Cf. carte ci-dessous où le Pays de Salzbourg est en couleur lila au sud-est de la Bavière).
Tous les Etats concernés sont une partie du Saint Empire romain germanique. La langue parlée n’était pas un critère d’appartenance à une nation, mais à une culture et à un peuple. Un peu comme en Suisse aujourd’hui où on est Suisse que l’on parle italien, alémanique ou romand. « Deutschland » est la zone où l’on parle une langue allemande. On se sent d’abord saxon, bavarois, thuringien. La boutade fréquente en Autriche sur ce sujet est de dire que « les Autrichiens ont réussi à faire croire qu’Hitler était Allemand et Mozart Autrichien ».

Le débat est donc stérile car les Etats dont on parle n’existaient tels quels pas du vivant de Mozart. Mais en revanche, le concept de « Deutschland » était bien vivant. Il ne faut pas faire l’histoire à reculons. C’est la même chose que pour un sujet du prince-évêque de Strasbourg au XVIème siècle qui, de son vivant, ne peut pas se douter que le pays germanophone où il vit, passera en France un siècle et demi plus tard ou en Allemagne s’il est né dans la partie transrhénane de l’évêché de Strasbourg. Ce qui compte c’est ce que lui-même ressentait et de bien définir les concepts qu’il utilisait pour parler de son appartenance politico-culturelle.
Mozart montrera son lieu de naissance à sa femme en précisant ceci à son père : « j’espère qu’il est inutile de Vous rappeler que Salzbourg et encore plus l’archevêque m’indiffèrent totalement et que j’emmerde les deux, et que, ma vie durant, il ne me serait jamais venu à l’idée de faire exprès un voyage à Salzbourg si Vous et ma sœur n’y viviez pas ».


Salzbourg qui exploite aujourd’hui l’image de Mozart d’un point de vue touristique fut pour le compositeur l’antithèse de la liberté de création, l’oppression de l’inventivité artistique et le symbole d’un système politique archaïque et absolutiste. Mozart est jeune, attiré par les idées révolutionnaires françaises et franc-maçonniques. Il n’apprécierait pas forcément la récupération de son nom par la ville d’aujourd’hui vu son expression « ich scheiße auf beides ».
Cela se passera mal à Vienne également. La ville, contrairement à Prague rebelle, suit docilement les goûts impériaux et laisse les Italiens dominer le monde musical, en particulier l’opéra. L’empereur Joseph II sera un temps bienveillant avec lui car les débuts des tensions interculturelles démarrent en terre cosmopolite d’Autriche. En 1782, Mozart put composer en allemand « L’enlèvement du sérail » où il introduira de nombreux effets scéniques inhabituels. Mais l’empereur n’avait pas les mains aussi libres que cela. Ou il manqua de courage politique suivant les perspectives.


Mozart écrit un jour : „Will mich Teutschland, mein geliebtes Vaterland, worauf ich, wie Sie wissen, stolz bin, nicht aufnehmen, so muss in Gottes Namen Frankreich oder England wieder um einen geschickten Teutschen mehr reich werden, und das zur Schande der deutschen Nation“. (Si l’Allemagne, ma patrie bienaimée dont, comme Vous le savez, je suis fier, ne veut pas m’accueillir, alors il faudra bien par la volonté de notre Seigneur que la France ou l’Angleterre s’enrichissent une fois de plus d’un Allemand doué, et ceci à la honte de la Nation allemande »)


Quand Mozart dit « Allemagne », il pense ici sans équivoque à l’empereur et à Vienne sa capitale ! Si on lit ce texte avec l’oreille d’aujourd’hui et le sens de la langue actuel, on reconnaît des mots que l’on a évité de prononcer après 1945, voire même après la réunification de 1990. Tout le monde aura remarqué que le mot « Autriche » n’apparaît nulle part.Il est inutile
de rappeler que l’empereur est toujours nommé à cette époque « der deutsche Kaiser » car après la scission entre les deux gros protagonistes Prusse et Autriche, c’est l’Autriche qui perpétua la tradition de l’empire électif. Avant la dissolution du Saint Empire en 1806, le souverain d’Autriche (qui n'est qu'un archiduché et donc une partie de l'Empire et non sa tête ) est toujours l’empereur des Allemands.


Pour s’en convaincre, il suffit de lire une lettre de Maria-Theresa (impératrice d’Autriche) écrite à sa fille Marie de Naples en avril 1768 : « N’oublie jamais que tu es née Allemande et efforce-toi de maintenir les bonnes qualités qui caractérisent notre peuple. Dans ton cœur et par ta droiture, demeure à jamais une Allemande ».


A Marie-Antoinette, reine de France, la même impératrice écrit en 1770 : « Crois-moi : le Français t’estimera bien plus et aura une meilleure opinion de toi s’il voit en voit en toi la fermeté et la franchise allemandes. N’aie pas honte d’être une Allemande.»
Tout le monde aura reconnu l’opposition entre « eine Deutsche sein » de la lettre de l’impératrice et le surnom que donnent les Français à cette reine « l’Autrichienne ». C’est comme si une cour allemande surnommait une princesse française de la maison des Rohan « la Bretonne », et non « la Française ».


Il n’empêche que Mozart dans sa lettre du 18 août 1782 met sur le même plan d’égalité « Frankreich, England, Teutschland ». Le dernier est donc pour lui quelque chose d’identifiable. Vu les mentalités de l’époque, il ne fait aucun doute qu’il pense à l’Empire où la « nation allemande » forme le cœur du pays. La présence d’autres langues et cultures sur ce grand territoire n’y change rien du tout. Le mot « deutsche Nation » est à prendre au sens latin : naître en terres allemandes et acquérir l’esprit et la culture qu’on y reçoit.


En disant « Les Italiens dominent l’opéra à l’époque de Mozart », on a exactement la même démarche. Les Italiens, au sens de citoyens de l’Italie, n’existent pas à cette époque. La création de l’Italie moderne ne se fera qu’au XIXème siècle. Quand à Vienne, on dit à cette époque les Italiens, on fait référence aux gens de langue italienne, et à tout ce qu’il y a derrière (mentalité, réflexes, etc). C’était très fréquent à l’époque. Il y a encore des restes de cette manière de penser quand on dit aujourd’hui « un Lorrain » ou « un Alsacien » ou encore « le Breton » pour sans cesse rappeler qu’il n’est pas du coin et qu’on sent quelque part une différence.
Pour aider les Français, il faudrait supprimer le mot « allemand » du langage courant. Ce mot a remplacé le terme ancien « tudesque » qui est la forme romane exacte de « deutsch » comme on le trouve encore en italien « tedesco ». Avec les événements récents, ce terme « allemand » a pris un sens tellement particulier qu’on arrive plus à s’en sortir de manière objective. Le « Teutschland » de Mozart est mot à mot le pays tudesque. Pour certains, on ne pourrait même pas dire « le pays de langue allemande » car l’allemand est pour eux seulement la langue parlée en Allemagne actuelle. Et poutant, dans le langage courant, avant les événements dramatiques des deux guerres mondiales, quand un Lorrain romanophone disait « L’Allemagne » ou « un Allemand » ou « Ollemand » il désignait une partie du duché de Lorraine aujourd’hui majoritairement en Moselle et l’Alsace voisine.


Tous parlaient en réalité comme Mozart : non en termes de nationalité (cela n’existait pas encore), mais en termes de nation et de tendance culturelle. Le XIXème siècle balaiera cette mentalité.

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